Louer un logement décent : des règles et des sanctions

Dossier paru dans le magazine :
25 millions de propriétaires • N°juillet-août 2019

« Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent... ». Tel est le cadre que fixe l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 au bailleur pour la location d’un logement.
Cette notion de décence est issue de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, du 13 décembre 2000 afin de reconnaître à tous le droit à un logement doté des éléments minimum de confort. Quels sont-ils ? Comment les respecter ?

Les critères de décence

Le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent est composé de sept articles dont nous commentons ceux qui posent les différents critères de décence. Les dispositions spécifiques s’appliquant en outre-mer et à Mayotte ne seront pas précisées.

Article 1 :

« Un logement décent est un logement qui répond aux caractéristiques définies par le présent décret. »

Les dispositions de ce décret sont d’ordre public, rattachées à la loi de 1989 via son article 6 qui s’impose à la location d’un logement nu ou meublé en résidence principale et au bail mobilité. Le bailleur doit s’assurer de la décence du logement, ses accès et tous ses accessoires (garages, jardins, places de stationnement ...), lors de la mise en location et tout au long du bail. Le locataire doit en parallèle assurer le bon entretien des lieux suivant ses propres obligations.

Article 2 • sécurité physique et santé des locataires

« Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires : 1. Il assure le clos et le couvert. Le gros œuvre du logement et de ses accès est en bon état d’entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d’eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d’eau dans l’habitation (...). »

Le toit, les murs, les menuiseries et le sol doivent être étanches à l’eau et en bon état de conservation. Murs humides ou lézardés, tuiles cassées, gouttières percées doivent être traitées rapidement pour éviter des dégradations causant l’indécence d’un logement.

« 2. Il est protégé contre les infiltrations d’air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois
de ce logement donnant sur l’extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l’air suffisante. Les ouvertures des pièces donnant sur des locaux annexes non chauffés sont munies de portes ou de fenêtres. Les cheminées doivent être munies de trappes (...).
»

Ce point est issu du décret du 9 mars 2017 (n°2017-312) mettant en application l’article 12 de la loi relative à la transition écologique et la croissance verte du 17 aout 2015 (n°2015-992).

L’objectif était d’introduire à la décence un volet énergétique. Le terme « étanchéité à l’air » est imprécis mais l’esprit du texte est bien la lutte contre les logements énergivores. Si l’obligation n’est pas d’installer des fenêtres double vitrage ou d’isoler les murs, les menuiseries et les murs donnant sur l’extérieur ou sur des parties non chauffées doivent être hermétiques et jointifs.

« 3. Les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage ; »

Les fenêtres en étage dont les parties basses se trouvent à moins de 0,90 mètre du plancher doivent être pourvues d’une barre d’appui et d’un élément de protection s’élevant, au moins jusqu’à un mètre du plancher. Les garde-corps des balcons, terrasses, loggias, doivent avoir une hauteur d’au moins un mètre, 0,80 mètre au cas où le garde-corps a plus de 50 cm d’épaisseur (article R*111-15 du code de la construction et de l’habitation - CCH).

A l’intérieur du logement, la hauteur d’un garde-corps de plateforme (mezzanine, palier) doit aussi être d’un mètre. Dans un escalier, la hauteur de la rambarde doit être comprise entre 0,80 mètres et un mètre à compter du nez de la marche. La Cour de cassation a relevé l’indécence d’un logement loué pour l’absence de garde-corps efficace sur un balcon (civ 3, 14 février 2012, n° 11-13135).

« 4. La nature et l’état de conservation et d’entretien des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement ne présentent pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires ; »

Les matériaux dangereux par leur nature sont par exemple le plomb et l’amiante. Le diagnostic plomb (voir 25 millions de propriétaires n° 530 juin 2019) informe le bailleur sur la teneur en plomb dans les revêtements. Si sa concentration est dangereuse, il doit le retirer. Ce diagnostic ne comprend pas le plomb dans l’eau. Les canalisations en plomb sont encore présentes dans de vieux bâtiments et à surveiller (10 microgrammes/litre d’eau maximum - s’adresser à l’ARS pour analyse).

En cas de suspicion d’amiante dans les matériaux de construction, il faut faire un diagnostic et suivre ses prescriptions (retrait, chemisage...).
Plus généralement, le logement ne doit pas présenter de matériaux dégradés (peinture écaillée, briques ou béton qui se détachent) susceptibles de blesser une personne ou d’être ingérés par un enfant par exemple.

« 5. Les réseaux et branchements d’électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d’eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d’usage et de fonctionnement ; »

Les points de contrôle des diagnostics gaz et électricité (voir 25 millions de propriétaires n° 530 juin 2019) permettent de vérifier le bon état de ces réseaux. Les installations doivent être sécurisées sans pour autant être aux dernières normes de construction. Une réponse ministérielle l’a confirmé, seuls des travaux réalisés doivent être aux normes existantes au moment de leur réalisation (Rép min. JOAN 6 mai 2002 n°73576).

Pour exemple, la Cour de cassation a confirmé l’indécence du logement équipé d’un tuyau d’alimentation de gaz périmé depuis 9 ans à la date de délivrance des lieux aux locataires (civ 3, 14 février 2012, n° 11-13135).
Les chaudières, radiateurs, ballons d’eau chaude doivent être en bon état, couvrir les besoins du logement, tenant compte de la part d’entretien incombant au locataire.

« 6. Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d’ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l’air et une évacuation de l’humidité adaptés aux besoins d’une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ; »

Le logement non équipé d’une VMC doit avoir une ventilation naturelle : grilles d’aération dans les pièces humides, dégagement suffisant sous les portes...
Si la ventilation naturelle est insuffisante et dans l’impossibilité d’installer une VMC pour des raisons techniques, la ventilation mécanique répartie, autorisée uniquement en rénovation peut s’envisager. Des petits aérateurs assurent l’extraction d’air dans les pièces humides (cuisine, salle de bain...) reliés à un conduit d’évacuation vers l’extérieur. L’indécence a été relevé par les juges pour une importante humidité de condensation en raison d’une aération inefficace et d’un manque d’isolation thermique provoquant le développement de moisissures (Cass, civ. 3, 8 11 2011, n°10-31011). Locataires qui n’aèrent pas, bouchent les grilles de ventilation, éteignent la VMC sont autant de causes de condensation et d’humidité susceptibles d’engager leur responsabilité à la condition que le bailleur s’assure, avant la location, de la ventilation suffisante du logement.

En cas de remplacement des fenêtres et sans ventilation mécanique, l’aération du logement peut être bouleversée, les fenêtres neuves étant étanches. Il faut prévoir un substitut de ventilation si nécessaire (fenêtres équipées d’aérateurs ou autre).

« 7. Les pièces principales, au sens du troisième alinéa de l’article R. 111-1-1 du code de la construction et de l’habitation, béné ficient d’un éclairement naturel suffisant et d’un ouvrant donnant à l’air libre ou sur un volume vitré donnant à l’air libre. »

Les pièces principales, séjour et sommeil, se distinguent des pièces de service (cuisine, salle d’eau...). Ces pièces prin- cipales doivent ouvrir sur l’extérieur ou sur une véranda donnant sur l’extérieur. Aucune norme minimale d’éclairage naturel n’est imposée pour les logements, l’éclairement naturel ne peut s’apprécier qu’au au cas par cas, comme par exemple pour les appartements en demi-sous-sol, en fonction de la taille et de l’exposition des fenêtres.

Article 3 : les éléments d’équipement et de confort

« Le logement comporte les éléments d’équipement et de confort suivants :
1. Une installation permettant un chauffage normal, munie des dispositifs d’alimentation en énergie et d’évacuation des produits de combustion et adaptée aux caractéristiques du logement(...).
».

Les équipements de chauffage (chaudière, radiateurs...) doivent être présents, aux normes de sécurité et correspondre à l’alimentation en énergie du logement. La Cour de cassation a précisé que la seule alimentation en électricité ne permet pas un chauffage normal même si le bail prévoyait la mise à disposition d’un logement sans appareil de chauffage, moyennant un loyer adapté en conséquence (civ 3, 4 juin 2014 n° 13-17289).

Un chauffage normal, c’est également une puissance suffisante au regard de la surface, du volume, du type de pièce, de l’isolation, et de la situation géographique du logement.

« 2. Une installation d’alimentation en eau potable assurant à l’intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires ; ».

La potabilité de l’eau traduit la satisfaction de l’ensemble des caractéristiques physico-chimiques et bactériologiques aux conditions de la consommation humaine et l’expression « eau courante » correspond à une installation d’eau sous pression distribuée par un réseau public, ou depuis un réservoir (Rép. Min. JOAN 12 04 2005, n°56097).
Une locataire, sans eau courante dans son logement, a demandé des travaux de mise en conformité. La Cour d’appel l’a débouté aux motifs que le loyer correspondait au faible classement du logement (loi 1948), qu’elle a été informée de l’impossibilité d’installer l’eau courante et a refusé le relogement proposé par la mairie. La Cour de cassation sanctionne, l’exigence de la délivrance au preneur d’un logement décent impose son alimentation en eau courante (civ 3, 15 décembre 2004, n°02-20614).

« 3. Des installations d’évacuation des eaux ménagères et des eaux-vannes empêchant le refoulement des odeurs et des effluents et munies de siphon ; »

Le logement doit être relié à un système d’assainissement collectif ou individuel réglementaire en bon état de fonc- tionnement. S’il s’agit d’un système non collectif, la fosse toutes eaux ou fosse septique doit être vidangée (boues à 50 % du volume de la fosse), le bac à graisse et le préfiltre doivent être nettoyés régulièrement. La vidange incombe au locataire, il est conseiller de relever les niveaux de boues à l’entrée et la sortie du locataire.

« 4. Une cuisine ou un coin cuisine aménagé de manière à recevoir un appareil de cuisson et comprenant un évier raccordé à une installation d’alimentation en eau chaude et froide et à une installation d’évacuation des eaux usées ; »

La rédaction de ce point ne pose pas de difficulté particulière, le texte est clair. A noter, en location meublée, ce coin cuisine doit être équipé (plaques de cuisson, four ou four à micro-ondes, réfrigérateur). Pour la location d’une chambre meublée, le coin cuisine peut être commun à tous les occupants du logement.

« 5. Une installation sanitaire intérieure au logement comprenant un w-c., séparé de la cuisine et de la pièce où sont pris les repas, et un équipement pour la toilette corporelle, comportant une baignoire ou une douche, aménagé de manière à garantir l’intimité personnelle, alimenté en eau chaude et froide et muni d’une évacuation des eaux usées. L’installation sanitaire d’un logement d’une seule pièce peut être limitée à un w-c. extérieur au logement à condition que ce w-c. soit situé dans le même bâtiment et facilement accessible ; »

Lorsque le logement comporte un mur qui sépare la pièce principale d’un autre espace, il doit y avoir un w-c séparé à l’intérieur du logement (Cass., civ 3, 21 mars 2012, n°11-14838).
Lorsque l’accès à la salle de bain ne peut se faire depuis l’intérieur du logement, l’indécence est caractérisée (Cass., civ 3, 22 mai 2013 n° 12-18431). En cas de location d’une chambre meublée, le w-c et la salle de bain peuvent être extérieurs à la chambre.

« 6. Un réseau électrique permettant l’éclairage suffisant de toutes les pièces et des accès ainsi que le fonctionnement des appareils ménagers courants indispensables à la vie quotidienne. »

Dans les logements anciens, le nombre de prises, au regard des équipements actuels, peut faire défaut. Pour éviter tout incident, il est préférable de faire intervenir un électricien pour ajouter des prises : 3 à 4 pour la cuisine (hors prises équipements spécifiques), 5 à 7 pour le séjour.
Le dispositif d’éclairage dans chaque pièce ne peut s’entendre d’une prise pour brancher une lampe mais du dispositif pour installer un luminaire au plafond ou une applique murale.

Article 4 : surface habitable

« Le logement dispose au moins d›une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes.(...) »

Surface habitable : surface de plancher construite, après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d’escaliers, gaines, embrasures de portes et de fenêtres, de la superficie des combles non aménagés, caves, sous-sols, remises, garages, terrasses, loggias, balcons, vérandas, locaux communs, dépendances des logements, des parties de locaux d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre (Art. R. 111-2 CCH).

Volume habitable : total des surfaces habitables multipliées par les hauteurs sous plafond.
En cas d’erreur sur la surface habitable défavorable au locataire, le bailleur peut subir une baisse proportionnelle du loyer selon les conditions de l’article 3-1 de la loi de 1989 (location nue).
S’agissant des très petites surfaces (chambres de service), une réponse ministérielle de 2003 (JOAN n°21769) émettait la possibilité d’adapter la surface habitable pour éviter « que ces locaux soient exclus de fait d’un marché déjà très tendu. »
L’idée a été abandonnée.

Article 5 : arrêté d’insalubrité ou de péril

« Le logement qui fait l’objet d’un arrêté d’insalubrité ou de péril ne peut être considéré comme un logement décent. »

L’arrêté d’insalubrité est pris par le préfet lorsque le logement ou l’immeuble est en mauvais état (étanchéité, risques sanitaires, équipements collectifs en mauvais état ou hors d’usage, animaux nuisibles, absence d’entretien des parties communes...), il s’agit souvent d’un cumul, apprécié au cas par cas.
L’état du bien ou de ses conditions d’occupation le rendent dangereux pour la santé de ses occupants ou du voisinage avec une distinction de gravité :

  • insalubrité remédiable : prescription de travaux au propriétaire sous délai avec hébergement temporaire des occupants si nécessaire ;
  • insalubrité irrémédiable : travaux techniquement impossibles ou plus coûteux que la reconstruction du bâtiment, ce qui implique un relogement des occupants.

Il y aura péril lorsque l’immeuble ou le logement présente un problème de solidité.

Articulations particulières

Décence et bail commercial

La contenance d’un bail commercial n’est pas limitée au local commercial, il peut y avoir un logement en accessoire. Dans ce cas, en toute cohérence, la décence s’impose à la partie habitation. La Cour de cassation est constante sur le sujet. En 20091, elle relève que l’obligation de louer un logement décent s’applique, alors même que ce logement est inclus dans un bail commercial, dès lors que le locataire est parfaitement en droit d’y établir sa résidence principale. Le même argumentaire a été repris en 20122. Lors de travaux d’aménagement du magasin entrepris par les locataires, la société de travaux a constaté qu’un mur porteur avait été supprimé. Une expertise judiciaire a révélé que cette suppression avait affecté la solidité du plancher haut du rez-de-chaussée de l’immeuble. Les locataires ont assigné les propriétaires en réparation de leur préjudice. Selon les pièces versées aux débats, mêmes si les problèmes de structure du bâti étaient apparents lors de la prise de possession des lieux, le bailleur aurait dû s’assurer, avant la mise en location, de la décence de la partie logement du local.

S’agissant d’un bail commercial stricto-sensu, les obligations d’entretien reposent sur les clauses du bail. Selon sa rédaction, les travaux sont à la charge du bailleur ou du locataire. Souvent tous les travaux sont mis à la charge du preneur, le bailleur conservant les grosses réparations de l’article 606 du Code civil sauf la façade.

Décence et location d’une chambre meublée

La loi ALUR de 20143 est intervenue en créant un régime particulier pour la location meublée « à la chambre » dans le cadre d’une colocation (art. 8-1 loi 6 juillet 1989). Elle a légalisée une pratique courante mais n’a pas adapté les règles de décence à cette forme de colocation, se contentant de préciser « Un décret en Conseil d’Etat adapte aux logements loués en colocation les caractéristiques applicables aux conditions de décence. ». Il a fallu attendre la loi ÉLAN4 en 2018 (article 141 modifiant l’article 8-1 de la loi de 1989) pour :

  • réduire la surface habitable à 9m2 par chambre au lieu de 14m2 ;
  • apprécier les autres normes de décence au regard du logement dans son entier « Pour l’application de l’article 6 de la présente loi, il est tenu compte de l’ensemble des éléments, équipements et pièces du logement. ». Ces règles s’appliquent qu’il s’agisse d’une location à la chambre ou d’une location d’une chambre dans la rési- dence principale du bailleur.

Décence et règlement sanitaire départemental

La décence n’est pas seule juge du bon état et du confort des biens loués. Il faut aussi tenir compte des règles sanitaires applicables localement issues du règlement sanitaire départemental (RSD).

Comment s’articulent ces textes ? La réponse est jurisprudentielle, après quelques hésitations, la Cour de cassation semble tenir son argumentaire. Dans un arrêt de 20185, la Haute cour a fait prévaloir les critères plus restrictifs du RSD alors que le demandeur s’appuyait sur le décret décence, arguant la hiérarchie des normes. La surface habitable de la pièce principale était insuffisante au regard du RSD, plus strict que le décret décence de 2002.

Cette décision est conforme à un arrêt de 2015 de la même chambre de la Cour de cassation, le règlement sanitaire doit être appliqué en priorité dans la mesure où il est compatible avec les dispositions du décret décence (17 décembre 2015, n°14-22754). Notons qu’en 2017, la Cour de cassation avait fait prévaloir le décret décence6.

Sanctions de l’indécence

L’arsenal législatif est fourni et se veut donc dissuasif, tant sur le plan civil que pénal. Le législateur veut un parc de loge- ments décents mis à la disposition des locataires. Le respect de la réglementation est aussi une protection du bailleur car l’indécence l’expose à des sanctions lourdes.

Avant toute procédure judiciaire, le locataire peut demander la mise en conformité du logement selon les dispositions de l’article 20-1 de la loi 6 juillet 1989. A défaut d’accord entre les parties ou à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, la commission départementale de conciliation peut être saisie pour avis, cette saisine n’étant pas un préalable obligatoire à la saisine du juge. L’une ou l’autre des parties peut saisir le juge à défaut de solution amiable.

Les sanctions civiles

Le respect des normes de décence est nécessairement examiné au cas par cas par les tribunaux en application de leur pouvoir d’appréciation souverain7.

L’article 20-1 de la loi de 1989 prévoit des sanctions dédiées « Le juge saisi par l’une ou l’autre des parties détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu’à l’exécution de ces travaux », l’indemnisation d’un préjudice pouvant s’y cumuler.

  • L’exécution des travaux : souvent, la condamnation prescrivant la nature et le délai d’exécution des travaux est assortie d’une astreinte afin que le bailleur s’exécute dans les plus brefs délais. La décision est précise pour plus d’effi-cacité dans la volonté de rendre le logement décent.
  • La réduction du loyer ou la suspension du paiement: la rédaction antérieure à 2006 du texte précité prévoyait la réduction du loyer « à défaut de mise en conformité », elle ne pouvait donc intervenir qu’en second lieu. Dans sa rédaction actuelle, elle peut se cumuler à la prescription de travaux et être prononcée de manière rétroactive à la date de prise d’effet du contrat de location. Cette évolution vers une sanction qui peut être alourdie marque une volonté de la rendre plus efficace.
  • L’indemnisation des troubles de jouissance est plus rare car il faut prouver le préjudice, le juge l’appréciant souverainement. Pour exemple, « la cour d’appel (...) a souverainement apprécié le montant du préjudice résultant du fonctionnement défectueux du système de ventilation de l’immeuble »8.

Le poids financier de ces sanctions est lourd et il peut s’y rajouter la nécessité d’assurer le relogement du locataire, temporaire compte tenu de l’importance des travaux à réaliser, ou définitif si la mise en conformité est impossible. Cette seconde option est rare, l’objectif législatif étant un parc locatif de logements décents, même si de gros travaux sont nécessaires, le juge peut les imposer. Rappelons enfin que le bailleur ne pourra se dédouaner en demandant la résiliation du bail face à une demande de mise en conformité car l’article 20-1 indique « ... le locataire peut demander au propriétaire sa mise en conformité sans qu’il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours... ».

L’exception d’inexécution

L’indécence du logement n’autorise pas le locataire à suspendre d’autorité le paiement des loyers, l’exception d’inexécution n’est pas prévue par la loi qui lui octroie un droit délimité par l’article 20-1 de la loi de 1989. Néanmoins, la Cour d’appel de Riom (ch 1, 9 octobre 2017, n° 16/01669), a validé l’exception d’inexécution dans une espèce ou l’indécence était avérée (ventilation non conforme, couverture non étanche à l’eau, évacuations d’eaux usées non étanche, humidité, installation électrique non conforme avec fils apparents, absence ou non-conformité des garde-corps) et ou le locataire, dans une précarité importante, s’était maintenu dans le logement sans régler son loyer. Les juges ont prononcé une réduction de loyer d’un montant équivalent au montant des loyers réclamés par le bailleur.

Les sanctions pénales

La responsabilité pénale du bailleur peut être engagée pour différentes causes : soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, mise en danger d’autrui, infractions au code de la santé publique... Sur le terrain pénal, la sanction est particulièrement sévère, des peines d’emprisonnement ainsi que de lourdes amendes peuvent être prononcées.

  • Pour un exemple de mise en danger d’autrui : le bailleur a fait réaliser un diagnostic révélant la présence de plomb sur des revêtements dégradés dans un logement qu’il a mis en location l’année suivante sans avoir supprimé le risque d’exposition au plomb. L’enfant en bas âge des locataires a ingéré de la peinture contenant du plomb et a été intoxiqué. Le bailleur n’a pas remis un logement décent mais au-delà, a mis en danger la vie d’autrui9.
  • Autre exemple de responsabilité du bailleur aux conséquences d’une grande gravité. Un incendie s’est déclaré dans une chambre de service louée à l’installation électrique vétuste. Cinq sapeurs-pompiers qui intervenaient sur les lieux du sinistre ont trouvé la mort suite à un phénomène de « flashover ». Le bailleur, depuis l’acquisition du bien, n’avait jamais fait vérifier l’installation électrique qui était non conforme. Le bailleur a été poursuivi pour homicide involontaire et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et au paiement de diverses sommes aux parties civiles10.
  • En cas de conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, le bailleur commettant un délit encourt l’emprisonnement, maximum 5 ans ou 7 ans si plusieurs victimes ou victime mineur, et une amende, maximum 150 000 € ou 200 000 € si plusieurs victimes ou victime mineur (Article 225-14 et 15 du Code pénal).
Habitat indigne

L’habitat insalubre, indigne est un cran au-dessus et sort de la relation privée bailleur/ locataire en intégrant les pouvoirs publics de police du maire ou du préfet. Depuis la loi ALUR, et à nouveau avec la loi ÉLAN, les mesures de contrôle (permis de louer) comme les mesures coercitives (confiscation des biens, interdiction d’acheter des biens immobiliers pendant 10 ans) se sont fortement développées afin de réduire l’habitat indigne et lutter contre les marchands de sommeil, ces deux notions étant souvent associées.

La division de logements

La loi ALUR a mis en place le « permis de diviser » sur certaines zones. Les collectivités peuvent ainsi instituer, sur leur territoire, une autorisation préalable aux travaux conduisant à la création de plusieurs locaux à usage d’habitation dans un immeuble existant. Cette disposition n’a pas été le frein espéré pour les marchands de sommeil. Pour essayer de contrarier réellement cette pratique, la loi ÉLAN (art. 186) redéfinit l’immeuble à usage collectif d’habitation pour y intégrer la division par lot d’un bien afin que celle-ci tombe sous le pouvoir de police du maire qui peut faire procéder aux travaux nécessaires à la sécurité et à la santé des occupants en cas d’urgence et en assurer le recouvrement auprès du bailleur malveillant, mais également prononcer des astreintes en cas de défaut de réalisation des travaux prescrits.

La décence en commission

Nous donnons la parole à des membres de commissions départementales de conciliation des baux d’habitation, représentants de l’UNPI.

Marie-Andrée Gagnière, UNPI 13 - Bouches-du-Rhône :

Sur l’année 2018, 478 dossiers ont été traités, une dizaine sur la décence tant sur le parc social que privé.
Les principaux points sont le chauffage, l’humidité avec conséquences santé, les mises aux normes électricité, et des problèmes de plomberie dans les salles d’eau, ce qui touche au confort nécessaire du vivre décemment.

Un locataire saisit la commission quand il n’obtient pas de réponse du bailleur à sa demande.
Il peut avoir des réticences à saisir la commission, préférant se “débrouiller” seul par crainte du conflit avec son bailleur ou de l’augmentation du loyer après travaux. Cela amène à conclure qu’il y a peu de saisine en réelle décence, mais cela a augmenté de 40% entre 2017 et 2018. 2019 sera lourde du fait du drame de la rue d’Aubagne. Constat actuel, le locataire “dénonce” l’état de l’appartement dans lequel il vit, plus facilement qu’auparavant.

Françoise Tournier-Salès, UNPI 31-09 - Haute-Garonne :

Sur les cinq dernières années, les saisines sur la décence du logement représen- tent 5 à 6% des dossiers. Les litiges les plus fréquents concernent des problèmes d’humidité dus à de la condensation. Outre la bonne ventilation de logements à la charge du propriétaire, il faut encore que les locataires occupent correctement les lieux afin d’en garantir l’aération. Il s’agit là de sujets délicats car ils concernent la manière de vivre des locataires.

Nous relevons également des saisines à propos d’équipements trop anciens : chaudière, chauffe-eau, installation électrique. Les diagnostics gaz et électricité, obligatoires depuis 2018, vont participer à l’amélioration de la décence à ce titre. Peut-être, faudrait-il y ajouter un détecteur de monoxyde de carbone pour des raisons de sécurité.

Il faut enfin évoquer le problème du vieillissement des immeubles notamment les ponts thermiques et la vétusté des matériaux. Il y a là tout un travail de fond à faire sur le bâtiment, qui relève parfois de la copropriété.

Julien Berbigier, UNPI 37 - Indre-et-Loire :

Sur six exercices (2011 à 2016), la Commission a traité 234 dossiers, 13 d’entre eux (soit 6%) concernaient une problématique de décence. Cette tendance s’est retrouvée en 2017 et 2018.
A l’exception de quelques cas critiques pour le locataire en cours de location (fissures infiltrantes, désordres structurels dus à une humidité anormale) nécessitant un débat plein et entier, la question de la décence n’est souvent abordée qu’à l’aulne d’une séance de la Commission portant sur l’exigibilité d’un décompte de fin de location et la restitution du dépôt de garantie.

Bien souvent d’ailleurs, lorsque la séance de la Commission ne permet pas d’aboutir à une conciliation, et que le Tribunal d’Instance est par la suite saisi, le locataire tend à opposer au bailleur les dispositions générales de l’article 1719 du Code civil, et les dispositions spéciales de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, propres à la délivrance d’un logement décent (pour tenter d’obtenir des dommages et intérêts compensatoires d’un solde locatif), en oubliant l’article 20-1 de la même loi, selon lequel l’indécence nécessite une demande de mise en conformité (en cours de location), si besoin devant le juge, lequel peut définir la nature et les délais des travaux à réaliser avec réduction, suspension ou consignation du loyer.

Évaluez la décence de votre logement en 15 points de vérification

Une grille de décence, un diagnostic décence a été annoncé à plusieurs reprises par les autorités sans jamais aboutir faute de volonté. Les CAF ont leur grille, chaque propriétaire bailleur peut faire une auto-évaluation de son logement de manière simple :

Cliquez pour télécharger :
Grille des 15 points de vérification


  • 1 - Cour de cassation, civ 3, 14 octobre 2009, n° 08-10955, 08-17750
  • 2 - Cour de cassation, civ 3, 18 décembre 2012, n° 11-24761
  • 3 - Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové
  • 4 - Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique
  • 5 - Cour de cassation, civ 3, 3 mai 2018, n° 17-11132 et 17-14090
  • 6 - Cour de cassation, civ 3, 20 avril 2017, n° 16-13821
  • 7 - Cour de cassation, civ 2, 29 novembre 2012, n°11- 20091
  • 8 - Cour de cassa- tion, 3ème civ., 4 novembre 2014, n° 13-21943
  • 9 - Cour de cassation, chambre criminelle n°11- 88059 du 20 novembre 2012
  • 10- Cour de cassation, chambre criminelle n°09- 86137 du 7 septembre 2010

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  • Protéger vos intérêts privés ;  
  • Bénéficier de conseils pratiques